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La peinture est une écriture. Pour Brigitte Gueyraud, peindre est aussi donner la parole à ceux que la trahison de leur corps condamne au silence. La rencontre entre sa pratique artistique et son expérience professionnelle aboutit à un accord profond entre l'être et son questionnement. Les mots dont elle se sert, ce sont des visages ravinés de vieillards, des natures mortes à la « vie silencieuse » qui évoquent Chardin, des paysages nimbés de mystère, des animaux que n’aurait pas reniés Giono.

Dans son travail d’art-thérapeute en milieu hospitalier, Brigitte Gueyraud est confrontée quotidiennement au déclin et à la solitude des personnes âgées. Témoin privilégié de l’œuvre du temps, elle en fait une de ces préoccupations majeures. En contemplant ses toiles à l’huile, peintes à l’ancienne avec de nombreuses superpositions de glacis, l’œil ne glisse pas, il est retenu. Le temps s’arrête sur un monde d’un autre ordre décrit par cette lignée de peintres qui a employé le mode figuratif depuis des siècles. Pourtant, il n’y a rien de passéiste ni de nostalgique dans le choix de cette artiste lumineuse. Lorsqu’elle nous offre à voir de vieilles personnes au seuil de la mort ̶̶ dont certaines font penser à Lucian Freud ̶ ou des vaches singulières, c’est l’émotion, la dimension poétique, qui la guident. Elle transfigure le réel par son regard posé sur les objets familiers et les choses humbles.

Il y a de l’humanité dans ses vaches et une animalité rebelle dans ses portraits humains. Cette femme qui s’enfonce dans l’océan blanc de son drap, ce troupeau, hymne crépusculaire, nous rappellent, comme le souligne Brigitte Gueyraud, que « jusqu’au bout et même dans l’au-delà », on porte sa souffrance. Mais cette confrontation avec la mort n’est pas morbide ; il s’agit, en tant qu’artiste, de garder les yeux grands ouverts pour nous parler de ceux qui « ont tout donné et dont on a tout exploité », et qui ont en commun de nous transmettre un patrimoine que nous avons gaspillé ou ignoré. Les êtres humains et les animaux représentés ici ne sont pas des modèles, ils sont le sujet de son œuvre. Très rarement, le portrait a atteint cette acuité et cette force qui nous étreignent devant les toiles de Brigitte Gueyraud. Cette thématique du portrait semble indéniablement le cœur de sa démarche, comme elle l’est aussi dans ses natures mortes. Cependant son parcours de peintre laisse présager d’autres évolutions, peut-être sous d’autres formes, car, toute dévouée à l’art, elle est en recherche permanente.

Le pinceau court sur la toile, la caresse, l’enveloppe, glisse au rythme de la lumière scandée par les heures qui s’écoulent. Pour saisir toutes les nuances de ce « cul de poule » en cuivre cabossé, Brigitte Gueyraud prend rendez-vous chaque jour dans son atelier. Alors on comprend mieux le choix de sa technique ancestrale où les glacis dictent une perception différente de la profondeur. On s’explique aussi son goût pour une épingle à cheveu ou un balai dont elle va exploiter le moindre détail… sans maniérisme mais pour « donner de l’espace à l’inconnu, s’approcher du mystère, non seulement s’exprimer, mais exprimer le monde » comme elle aime à le dire. En un mot, pénétrer l’essence des choses.

Nourrie de Rembrandt, Vermeer, Caravage, El Greco, Zurbarán, Hopper, Balthus, Brigitte Gueyraud suit son propre chemin. Elle trouve son écriture dans la vérité de ces êtres qui manifestent avec détermination, et jusqu’au dernier moment, leur existence. Ils lui donnent ̶̶̶ ainsi qu’à nous ̶ des leçons de peinture et de vie.

Brigitte Camus, journaliste, artiste graveur, auteur, a publié en 2007 « Buffet ou la psychanalyse en signature » (Éditions de l’Épure). Elle prépare un « Guide artistiquement incorrect pour les artistes et les nouveaux acteurs de l’art » (Éditions Singulières).

Paroles en peintures